Randevoo پادکست فارسی راندوو

راندوو پادکستیه که درون قراره یک رمان فرانسوی رو با هم بخونیم، ترجمه کنیم و اگه لازم شد توضیح بدیم و میتونه به درد کسایی بخوره که زبان فرانسه بلدند، دارند یاد می گیرند یا فقط به زبان فرانسه یا به صورت کلی تر به رمان علاقمندند

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Randevoo - Episode 38

Thursday Jan 05, 2023

Thursday Jan 05, 2023

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ترجمه شفاهی : مصطفی شالچی
Killing Me Softly With His Song
Al Green - Let's Stay Together
Stand by Me
52.Jour J – 1
Le soleil est inéluctable. Cela ne se voit peut-être pas mais j’ai mis des heures à trouver cette phrase. Les oiseaux piaillent, c’est comme ça que je m’aperçois qu’il fait jour. Même les oiseaux sont amoureux. C’était l’été où les Fugees avaient repris Killing me softly with his song de Roberta Flack et je savais que je m’en souviendrais.
— Tu sais, Marc, que demain ce sera l’anniversaire de nos trois ans ensemble ?
— Chut ! Tais-toi ! On s’en fiche, je ne veux pas le savoir !
— Moi je trouve ça mignon, je ne vois pas pourquoi tu devrais être désagréable.
— Je ne suis pas désagréable, simplement il faut que je travaille.
— Tu veux que je te dise ? Tu es un égoïste prétentieux, tu t’intéresses tellement qu’à toi que ça en devient écœurant.
— Pour pouvoir aimer quelqu’un d’autre, il faut d’abord s’aimer soi-même.
— Ton problème, c’est que tu t’aimes tellement qu’il n’y a plus de place pour personne d’autre !
Elle est partie sur mon scooter, soulevant derrière elle une traînée magique de poussière sur le chemin cahoteux. Je n’ai pas essayé de la rattraper. Quelques heures plus tard, elle est revenue et je lui ai demandé pardon en lui baisant les pieds. Je lui ai promis que nous ferions un barbecue en tête à tête pour fêter notre anniversaire. Les fleurs du jardin étaient jaunes et rouges. Je lui ai demandé :
— Dans combien de temps tu me quitteras ?
— Dans dix kilos.
— Eh ! J’y peux rien si le bonheur fait grossir !
Au même moment, à Paris, un artiste nommé Bruno Richard notait dans son Journal cette phrase : « Le bonheur, c’est le silence du malheur. » Il pouvait mourir tranquille après ça.
 
Demain cela fera trois ans que je vis avec Alice.
 
53. Jour J
La dernière journée de l’été est arrivée. La fin des haricots se fait sentir sur les plages de Formentera. Matilda est partie sans laisser d’adresse. Le vent se faufile dans les murets de pierre, et sous les pieds. Le ciel est inexorable. Les domaines du silence s’agrandissent, aux Baléares.
 
Épicure préconise de s’en tenir au présent, à la plénitude du plaisir simple. Faut-il préférer le plaisir au bonheur ? Plutôt que de se poser la question de la durée d’un amour, profiter de l’instant est-il le meilleur moyen de le prolonger ? Nous serons des amis. Des amis qui se tiennent par la main, qui bronzent en se roulant des patins, s’interpénètrent avec délicatesse contre le mur d’une villa en écoutant Al Green, mais des amis quand même. Une journée splendide a béni notre anniversaire. À la plage nous avons nagé, dormi, heureux de chez Heureux. Le barman italien du petit kiosque m’a reconnu :
— Hello, my friend Marc Marronnier !
Je lui ai répondu :
— Marc Marronnier est mort. Je l’ai tué. À partir de maintenant il n’y a plus que moi ici et moi je m’appelle Frédéric Beigbeder.
Il n’a rien entendu à cause de la musique qu’il diffuse à tue-tête. Nous avons partagé un melon et une glace. J’ai remis ma montre. J’étais enfin devenu moi-même, réconcilié avec la Terre et le temps.
Et le soir est arrivé. Après un détour chez Anselme pour boire un gin-Kas en écoutant le clapotis des vaguelettes contre le ponton, nous sommes rentrés à la casa.
La nuit était éclairée par les étoiles et les bougies. Alice a préparé une salade d’avocat aux tomates. J’ai allumé un bâtonnet d’encens. La radio grésillante diffusait un vieux disque de flamenco. Les côtelettes d’agneau cramaient sur le barbecue. Les lézards se planquaient dans les azulejos. Les grillons ont fermé leur gueule d’un seul coup. Elle s’est assise près de moi en souriant d’émotion. Nous avons bu deux bouteilles de rosé chacun. Trois ans ! Le compte à rebours était terminé ! Ce que je n’avais pas compris, c’est qu’un compte à rebours est un début. À la fin d’un compte à rebours, il y a une fusée qui décolle. Alléluia ! Joie ! Merveille ! Et dire que je m’angoissais comme un con ! Ce qu’il y a de fantastique avec la vie, c’est qu’elle continue. On s’est embrassés lentement, mains jointes sous la lune orange, à l’écoute de l’avenir.
J’ai regardé ma montre : il était 23 h 59. Encore soixante secondes, et nous serions fixés.
 

Randevoo - Episode 37

Thursday Dec 29, 2022

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ترجمه شفاهی : مصطفی شالچی
Charles Aznavour - Vivre avec toi
 
50.Jour J – 3
Avec Alice, nous faisons l’amour moins souvent mais de mieux en mieux. J’effleure ses centimètres carrés favoris. Elle ferme mes yeux. Avant elle jouissait une fois sur deux, maintenant elle jouit une fois par fois. Elle me laisse écrire tout l’après-midi. Pendant que je travaille, elle se dore au soleil sur la plage. Vers six heures du soir, elle revient et je lui prépare une mauresque bien glacée. Puis je vérifie son bronzage intégral. Je trais ses pamplemousses. Elle me suce, puis je l’encule. Ensuite, elle lit ceci par-dessus mon épaule et me demande de supprimer « je l’encule ». J’accepte, j’écris « je la prends », et quand elle s’éloigne je fais un petit « Pomme-Z » sur mon Macintosh. La littérature est à ce prix, l’Histoire des Lettres n’est qu’une longue litanie de trahisons, j’espère qu’elle me pardonnera. Je refuse de finir Tendre est la nuit ; j’ai comme un sinistre pressentiment : à mon avis, cela ne va plus très fort entre Dick Diver et Nicole. J’écoute La Sonate à Kreutzer en songeant au roman éponyme de Tolstoï. L’histoire d’un homme trompé qui tue sa femme. Le violon et le piano de Beethoven lui ont inspiré le couple. Je les écoute se rejoindre, s’interrompre, s’envoler, se quitter, se réconcilier, se fâcher, et enfin s’unir dans le crescendo final. C’est la musique de la vie à deux. Le violon et le piano sont incapables de jouer seuls…
Si notre histoire tourne court, je serai complètement blasé. Jamais je ne pourrai donner autant à quelqu’un d’autre. Finirai-je ma vie en baisant des putes de luxe et des cassettes vidéo ?
Il faut que ça marche.
Il faut que nous parvenions à passer le cap des trois ans. Je change d’avis toutes les secondes.
Peut-être faudrait-il que nous vivions séparés. La vie à deux, c’est trop usant.
Je n’ai pas de tabou ; l’échangisme ne me choque pas. Après tout, quitte à être cocu, autant l’organiser soi-même. L’union libre, c’est cela la solution : un adultère sous contrôle.
Non. Je sais : il faut que nous fassions un enfant, vite !
J’ai peur de moi. Le compte à rebours égrène ses journées de Damoclès. Dans trois jours cela fera trois ans que je vis avec Alice.
 
51. Jour J – 2
L’erreur est de vouloir une vie immobile. On veut que le temps s’arrête, que l’amour soit éternel, que rien ne meure jamais, pour se prélasser dans une perpétuelle enfance dorlotée. On bâtit des murs pour se protéger et ce sont ces murs qui un jour deviennent une prison.
 
Maintenant que je vis avec Alice, je ne construis plus de cloisons. Je prends chaque seconde d’elle comme un cadeau. Je m’aperçois qu’on peut être nostalgique du présent. Je vis parfois des moments si merveilleux que je me dis : « Tiens ? Je vais regretter ce moment plus tard : il faut que je n’oublie jamais cet instant, pour pouvoir y repenser quand tout ira mal. » Je découvre que pour rester amoureux, il faut une part d’insaisissable en chacun. Il faut refuser la platitude, ce qui ne veut pas dire s’inventer des soubresauts artificiels et débiles, mais savoir s’étonner devant le miracle de tous les jours. Être généreux, et simple. On est amoureux le jour où l’on met du dentifrice sur une autre brosse à dents que la sienne.
 
Surtout, j’ai appris que pour être heureux, il faut avoir été très malheureux. Sans apprentissage de la douleur, le bonheur n’est pas solide. L’amour qui dure trois ans est celui qui n’a pas gravi de montagnes ou fréquenté les bas-fonds, celui qui est tombé du ciel tout cuit. L’amour ne dure que si chacun en connaît le prix, et il vaut mieux payer d’avance, sinon on risque de régler l’addition a posteriori. Nous n’avons pas été préparés au bonheur parce que nous n’avons pas été habitués au malheur. Nous avons grandi dans la religion du confort. Il faut savoir qui l’on est et qui l’on aime. Il faut être achevé pour vivre une histoire inachevée.
 
J’espère que le titre mensonger de ce livre ne vous aura pas trop exaspéré : bien sûr que l’amour ne dure pas trois ans ; je suis heureux de m’être trompé. Ce n’est pas parce que ce livre est publié chez Grasset qu’il dit nécessairement la vérité.
 
Je ne sais pas ce que le passé me réserve (comme disait Sagan), mais j’avance, dans la terreur émerveillée, car je n’ai pas d’autre choix, j’avance, moins insouciant qu’autrefois, mais j’avance quand même, j’avance malgré, j’avance et je vous jure que c’est beau.
Nous faisons l’amour dans l’eau translucide d’une crique déserte. Nous dansons sous des vérandas. Nous flirtons au bord d’une ruelle mal éclairée en buvant du Marqués de Cáceres. Nous n’arrêtons pas de manger. C’est la vraie vie, enfin. Quand je l’ai demandée en mariage, Alice a eu cette réponse pleine de tendresse, de romantisme, de finesse, de beauté, de douceur et de poésie :
— Non.
Après-demain, cela fera trois ans que je vis avec elle.

Randevoo - Episode 36

Friday Dec 23, 2022

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ترجمه شفاهی : مصطفی شالچی
Matilda · Harry Belafonte 
 
48.Jour J – 5
La serveuse en robe dos nu s’appelle Matilda. Elle est booonne. Jean-Georges lui a chanté la chanson de Harry Belafonte : Matilda she take me money and run Venezuela.
 
Je crois que je pourrais tomber amoureux d’elle si Alice ne me manquait pas autant. Au bar de Ses Roques, nous l’avons invitée à danser. Elle tapait dans ses mains mates, ondulait des hanches, sa chevelure tourbillonnait. Elle avait des poils sous les bras. Jean-Georges lui a demandé :
— Pardon Mademoiselle, nous cherchons un endroit où dormir. Vous n’auriez pas de la place chez vous, por favor ?
Elle portait une fine chaîne en or autour de la taille et une autre autour de la cheville. Malheureusement, Matilda n’a pas pris notre argent et ne s’est pas enfuie au Venezuela. Elle s’est contentée de rouler les joints avec nous, jusqu’à ce qu’on s’endorme à la belle étoile. Ses doigts étaient longs et agiles. Elle léchait le papier à cigarette avec application. Je crois que nous étions tous assez troublés, même elle.
 
De retour à la Casa, complètement raide, Matilda a saisi ma queue à bras-le-corps. Elle avait, une chatte géante mais musclée qui sentait les vacances. Ses cheveux puaient la sinsemilla. Elle criait si fort que Jean-Georges a rempli sa bouche pour la faire taire ; ensuite nous avons échangé les places avant d’éjaculer en chœur sur ses gros seins fermes. Juste après avoir joui, je me suis réveillé en sueur, mort de soif. Un véritable ermite ne devrait pas trop abuser de ces plantes exotiques.
 
Dans cinq jours cela fera trois ans que je vis avec Alice.
 
49.Jour J – 4
L’homme seul redevient préhistorique : au bout de quelques jours il ne se rase plus, ne se lave plus, pousse des grognements. Pour mener l’être humain vers la civilisation, il a fallu quelques millions d’années, alors que le retour au Néandertal prend moins d’une semaine. Ma démarche est de plus en plus simiesque. Je me gratte les testicules, mange mes crottes de nez, me déplace par petits bonds. À l’heure des repas, je me jette en vrac sur la nourriture et la dévore avec les doigts, mélangeant le saucisson et les chewing-gums, les chips au fromage et le chocolat au lait, le coca-cola et le vin. Puis je rote, pète et ronfle. C’est ça, un jeune écrivain français de l’avant-garde.
Alice a débarqué par surprise. Elle a mis ses mains sur mes yeux au marché de la Mola, trois jours avant la date prévue de son arrivée.
— Qui c’est ?
— No sé. Matilda ?
— Salaud !
— Alice !
Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre.
— Ben ça, pour une surprise, c’est une surprise !
J’étais obligé de dire ça ?
— Avoue que tu ne t’y attendais pas, hein ? Et d’abord c’est qui cette Matilda ?
— Oh rien… Une locale que Jean-Georges a branchée hier soir.
Si cela n’est pas le bonheur, en tout cas cela y ressemble d’assez près : nous grignotons du Jabugo sur la plage, l’eau est tiède, Alice est bronzée, cela lui donne les yeux verts. Nous faisons la sieste l’après-midi. Je lèche le sel de mer sur son dos. Nous ne dormons pas tant que ça. Pendant l’amour, Alice m’énumère la liste des garçons qui l’ont suppliée de me quitter à Paris. Je lui narre en détails mon rêve érotique de la veille. Pourquoi toutes les femmes que j’aime ont-elles les pieds froids ?
 
Jean-Georges et Matilda nous rejoignent pour le dîner. Ils semblent très épris. Ils ont découvert qu’ils avaient tous les deux perdu leur père cette année.
— Mais moi c’est plus grave car je suis une fille, dit Matilda.
— Je déteste les filles amoureuses de leur père, surtout quand il est mort, dit Jean-Georges.
— Les filles qui n’ont jamais été amoureuses de leur père sont frigides ou lesbiennes, précise-je.
Alice et Matilda dansent ensemble, on dirait deux sœurs un peu incestueuses. Nous nous collons à elles. Il fait bon, ça aurait pu dégénérer, on se sépare à regret, mais on se rattrape chacun dans sa chambre.
Avant de m’endormir, j’accomplis enfin un geste révolutionnaire : je retire ma montre. Pour que l’amour dure toujours, il suffit de vivre hors du temps. C’est le monde moderne qui tue l’amour. Si nous nous installions ici ? Rien ne coûte cher ici. Je faxerais des papiers à Paris, je demanderais des à-valoir à plusieurs éditeurs, de temps en temps j’expédierais une campagne de pub par DHL…
Et l’on s’emmerderait à crever.
 
Bon sang, l’angoisse me reprend. Je sens venir le danger. J’en ai marre d’être moi. J’aimerais bien que quelqu’un me dise de quoi j’ai envie. Il est vrai que, de temps à autre, notre passion devient tendresse. La machination se remettrait-elle en branle ? Il faut repousser les endorphines. Je l’aime et pourtant j’ai peur qu’on s’ennuie. Parfois, nous jouons à être chiants exprès. Elle me dit :
— Bon… Je vais aller faire les courses… À tout à l’heure… Je lui réponds :
— Et après nous irons nous promener…
— Cueillir du romarin…
— Déjeuner sur la plage…
— Acheter les journaux…
— Ne rien faire…
— Ou nous suicider…
— La seule belle mort à Formentera, c’est de tomber de vélo, comme la chanteuse Nico.
Je me dis que si nous plaisantons là-dessus, c’est que la situation n’est pas si grave.
Le suspense augmente. Dans quatre jours cela fera trois ans que je vis avec Alice.

Randevoo - Episode 35

Friday Dec 16, 2022

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Joe Dassin - L'été indien (1975)
 
II.TROIS ANS PLUS TARD À FORMENTERA
 
46. Jour J – 7
Casa Le Moult. Me voici à Formentera pour finir ce roman. Ce sera le dernier de la trilogie Marronnier (dans le premier, je tombais amoureux ; dans le second, je me mariais ; dans le troisième, je divorce et retombe amoureux. La boucle est bouclée). On a beau essayer d’innover dans la forme (mots étranges, anglicismes, tournures bizarroïdes, slogans publicitaires, etc.) comme dans le fond (nightclubbing, sexe, drogue, rock’n roll…) on se rend vite compte que tout ce qu’on voudrait, c’est écrire un roman d’amour avec des phrases très simples – bref, ce qu’il y a de plus difficile à faire.
J’écoute le bruit de la mer. Je ralentis enfin. La vitesse empêche d’être soi. Ici les journées ont une durée lisible dans le ciel. Ma vie parisienne n’a pas de ciel. Pondre une accroche, faxer un article, répondre au téléphone, vite, courir de réunion en réunion, déjeuner sur le pouce, vite, vite, se grouiller en scooter pour arriver en retard à un cocktail. Mon existence absurde méritait bien un coup de frein. Se concentrer. Ne faire qu’une seule chose à la fois. Caresser la beauté du silence. Profiter de la lenteur. Entendre le parfum des couleurs. Tous ces trucs que le monde veut nous interdire.
Tout est à refaire. Il faut tout réorganiser dans cette société. Aujourd’hui ceux qui ont de l’argent n’ont pas de temps, et ceux qui ont du temps n’ont pas d’argent. Échapper au travail est aussi difficile qu’échapper au chômage. L’oisif est l’ennemi public numéro un. On attache les gens avec l’argent : ils sacrifient leur liberté pour payer leurs impôts. Il devient de plus en plus évident que l’enjeu du siècle prochain sera de supprimer la dictature de l’entreprise.
Formentera, petite île… Satellite d’Ibiza dans la constellation des Baléares. Formentera, c’est la Corse sans les bombes, Ibiza sans les boîtes, Moustique sans Mick Jagger, Capri sans Hervé Vilard, le Pays basque sans la pluie. Soleil blanc. Promenade en Vespa. Chaleur et poussière. Fleurs desséchées. Mer turquoise. Odeur des pins. Chant des grillons. Lézards trouillards. Moutons qui font mêêê.
— Il n’y a pas de « mais », leur rétorque-je.
Soleil rouge. Gambas a la plancha. Vamos a la playa. Lune orange. Gin con limon. Je cherchais l’apaisement, c’est ici, où il fait trop chaud pour écrire de longues phrases. On peut être en vacances ailleurs que dans le coma. La mer est remplie d’eau. Le ciel bouge sans cesse. Les étoiles filent. Respirer de l’air devrait toujours être une occupation à plein temps.
C’est l’histoire d’un type qui s’enferme tout seul sur une île pour terminer un bouquin qui ne s’appelle pas Paludes. Le type mène une vie de dingue, cela lui fait tout drôle de se retrouver livré à lui-même, dans la nature, sans télévision, ni téléphone. À Paris, il est pressé, joue les dynamiques, ici ne bouge pas de la journée, se promène le soir, toujours seul. Barnabooth à Florence, Byron à Venise, le panda du zoo de Vincennes sont ses modèles. La seule personne à qui il dise bonjour est la serveuse de San Francesco. Le type porte une chemise noire, un Jean
blanc, des Tod’s. Boit des pastis et des gin-limon. Bouffe des chips et des tortillas. N’écoute qu’un seul disque : La Sonate à Kreutzer par Arthur Rubinstein. Hier on l’aurait même aperçu applaudir un but français dans le match France-Espagne, ce qui est de mauvais goût, mais courageux, quand on est le seul Français dans un bistrot, en Espagne, sur un port. Si vous croisiez ce type, vous penseriez sans doute : « Mais que fout ce con de Parisien à la Fonda Pepe hors saison ? » Cela me chagrine un peu, vu que le type en question, c’est moi. Alors, mettez-la un peu en veilleuse, merci. Je suis l’ermite qui sourit au vent tiède.
 
Dans une semaine cela fera trois ans que je vis avec Alice.
 
 
47.Jour J – 6
Bon, d’accord, quand Alice a quitté Antoine, puis quand nous avons déménagé pour vivre ensemble rue Mazarine (la rue où Antoine Blondin est mort), je ne vous cache pas qu’il m’arrivait d’être pris d’angoisse. Le bonheur est bien plus effrayant que le malheur. D’avoir obtenu ce que je désirais le plus au monde me combla de joie, et simultanément, me plongea dans le doute. Referais-je les mêmes erreurs ? N’étais-je qu’un romantique cyclique ? Maintenant qu’elle était là, en voulais-je vraiment ? Deviendrais-je trop tendre ? M’arrivait-il de m’ennuyer avec elle ? Quand est-ce que j’arrêterais de me prendre la tête, bordel de merde ?
Antoine voulait me tuer, la tuer, se tuer. Notre couple se bâtissait sur les cendres d’un double divorce, comme s’il fallait se repaître de deux sacrifices humains pour construire un nouvel amour. Schumpeter appelait cela la « destruction créatrice », mais Schumpeter était économiste, et les économistes sont rarement des sentimentaux. Nous avons détruit deux mariages pour rester unis, tel le blob qui absorbe ses victimes pour s’agrandir. Le bonheur est une chose si monstrueuse que, si vous n’en crevez pas vous-même, il exigera de vous au moins quelques assassinats.
 
Jean-Georges est venu me rejoindre à Formentera. Ensemble, nous refaisons le monde, puis rendons visite aux poissons sous la mer. Il rédige une pièce de théâtre, et boit donc autant que moi.
 
Poème à lire en état d’ivresse :
À FormenteraTu fermenteras.
 
Nous croisons de vieux couples de hippies défoncés, qui sont restés ensemble, ici, depuis les années soixante. Comment ont-ils fait pour tenir si longtemps ? J’en ai les larmes aux yeux. Je leur achète de l’herbe. Avec Jean-Georges, nous picolons dans les troquets, en jouant au billard. Il me raconte ses amours. Il vient de rencontrer la femme de sa vie, il est heureux, pour la première fois.
— Aimer : nous ne vivons pour rien d’autre, dit-il.
— Et faire des enfants ?
— Pas question ! Donner naissance à quelqu’un dans un monde pareil ? Criminel ! Egoïste ! Narcissique !
— Moi, les femmes, je leur fais mieux qu’un enfant : je leur fais un livre, proclame-je en levant le doigt.
Nous jetons des œillades à la serveuse. Elle est à croquer, porte un boléro, sa peau mate est légèrement duveteuse, grands yeux noirs, se tient cambrée, farouche comme une squaw.
— Elle ressemble à Alice, dis-je. Si je couchais avec elle, je serais quand même fidèle.
Alice est restée à Paris, et viendra me rejoindre ici dans une semaine.
 
Dans six jours cela fera trois ans que je vis avec elle.
 
 
 

Randevoo - Episode 34

Thursday Dec 08, 2022

Thursday Dec 08, 2022

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Dany Brillant - Quand je vois tes yeux
45. Alors
Alors je prends mon stylo pour dire que je l’aime, qu’elle a les plus longs cheveux du monde et que ma vie s’y noie, et si tu trouves ça ridicule pauvre de toi, ses yeux sont pour moi, elle est moi, je suis elle, et quand elle crie je crie aussi et tout ce que je ferai jamais sera pour elle, toujours, toujours je lui donnerai tout et jusqu’à ma mort il n’y aura pas un matin où je me lèverai pour autre chose que pour elle et lui donner envie de m’aimer et embrasser encore et encore ses poignets, ses épaules, ses seins et alors je me suis rendu compte que quand on est amoureux on écrit des phrases qui n’ont pas de fin, on n’a plus le temps de mettre des points, il faut continuer à écrire, écrire, courir plus loin que son cœur, et la phrase ne veut pas s’arrêter, l’amour n’a pas de ponctuation, et des larmes de passion dégoulinent, quand on aime on finit toujours par écrire des choses interminables, quand on aime on finit toujours par se prendre pour Albert Cohen, Alice est venue, Alice a quitté Antoine, elle est partie, enfin, enfin, et nous nous sommes envolés, mentalement et physiquement, nous avons pris le premier avion pour Rome, bien sûr, où d’autre aller, Hôtel d’Angleterre, Piazza Navona, Fontaine de Trevi, vœux éternels, balades en Vespa, quand nous avons demandé des casques le loueur de scooters a tout compris il a répondu il fait trop chaud, amour, amour ininterrompu, trois, quatre, cinq fois par jour, mal à la bite, jamais vous n’avez autant joui, tout recommence, vous n’êtes plus seuls, le ciel est rose, sans toi je n’étais rien, enfin je respire, nous marchons au-dessus des pavés, quelques centimètres plus haut que le sol, personne ne le voit sauf nous, nous sommes sur coussins d’air, nous sourions sans raison aux Romains qui nous prennent pour des mongoliens, des membres d’une secte, la secte de Ceux qui Sourient en Lévitation, tout est devenu si facile maintenant, on met un pas devant l’autre et c’est le bonheur l’amour la vie les tomates-mozarella noyées dans l’huile d’olive les pasta au parmesan, on ne finit jamais les assiettes, trop occupés à se regarder dans les yeux se caresser les mains bander, je crois que nous n’avons pas dormi depuis dix jours, dix mois, dix ans, dix siècles, le soleil sur la plage de Fregene on prend des Polaroid comme celui qu’Anne a trouvé dans son sac à Rio, il suffit de respirer et de te regarder, c’est pour toujours, pour toujours et à jamais, c’est invraisemblable, époustouflant comme la joie de vivre nous étouffe, je n’ai jamais vécu ça, est-ce que tu ressens ce que je ressens ? tu ne pourras jamais m’aimer autant que je t’aime, non c’est moi qui t’aime plus que toi, non c’est moi, non c’est moi, bon c’est nous, c’est si merveilleux de devenir complètement débile, à courir vers la mer, tu étais faite pour moi, comment exprimer quelque chose d’aussi beau avec des mots, c’est comme si, comme si on avait quitté la nuit noire pour entrer dans une lumière éblouissante, comme une montée d’ecstasy qui ne s’arrêterait jamais, comme un mal de ventre qui disparaît, comme la première bouffée d’air que tu inspires après t’être retenu de respirer sous l’eau, comme une réponse unique à toutes les questions, les journées passent comme des minutes, on oublie tout, on naît à chaque seconde, on ne pense à rien de laid, on est dans un présent perpétuel, sensuel, sexuel, adorable, invincible, rien ne peut nous atteindre, on est conscient que la force de cet amour sauvera le monde, oh nous sommes effroyablement heureux, tu montes dans la chambre, attends-moi dans le hall, je reviens tout de suite, et quand tu as pris l’ascenseur j’ai grimpé par l’escalier quatre à quatre, en sortant de l’ascenseur c’est moi qui t’ai ouvert la porte, oh nous avions les larmes aux yeux d’avoir été séparés trois minutes, lorsque tu as croqué dans une pêche bien mûre le jus de fruit dégoulinait sur tes cuisses bronzées oh putain j’ai envie de toi tout le temps, encore et encore, regarde comme je sperme sur ton visage, oh Marc, oh Alice, j’ai un orgasme, c’est looong, c’est fooort, on n’a visité aucun monument de cette ville, ça y est elle est prise d’un fou rire, qu’est-ce que j’ai dit pour que tu ries comme ça, c’est nerveux, j’ai joui si fort je t’adore, mon amour, quel jour sommes-nous ?

Randevoo - Episode 33

Saturday Dec 03, 2022

Saturday Dec 03, 2022

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JE T'AIME - LARA FABIAN LIVE
 
 
43. Épisode mesquin
Les époux dînent, les amants déjeunent. Si vous apercevez un couple dans un bistrot à midi, essayez un peu de les prendre en photo et vous vous ferez engueuler. Essayez la même chose sur un autre couple, le soir : le couple vous sourira en posant pour votre flash.
Dès son retour de vacances conjugales, Alice m’a rappelé. Après m’être bien mis à sa place, imaginant ce qui se passait dans sa tête, je lui ai proposé froidement de déjeuner en tête à tête.
— J’apporterai un projecteur de diapos.
Elle ne m’a pas trouvé drôle, ce qui tombait bien car je ne cherchais pas à l’être. Dès son arrivée, elle me jure que c’était horrible, me certifie qu’ils n’ont jamais fait l’amour, mais je l’interromps :
— Tout va bien. Je pars ce week-end avec Anne. Nous savons tous que c’est faux, sauf Alice, qui vient de se prendre un Scud en pleine poire.
— Ah.
— Alors, reprends-le-cours-de-la-conversation-je, c’était bien ce voyage ?
Alice me gifle et c’est pourtant elle qui éclate en sanglots. Je collectionne les repas mélodramatiques, ces temps-ci. Coup de chance : nous n’avons pas de voisins de table. Coup de malchance : même Alice s’en va. Le restaurant ne sera plus très animé. Et j’ai beau savourer ma vengeance, « Je demeure seul avec un cœur plein d’aumônes » (Paul Morand), et me remets à boire des hectolitres, jusqu’à ce que je ne tienne plus debout, ni même assis. Encore un déjeuner sans bouffer. La vengeance est un plat qui ne se mange pas.
Ce qui est étonnant, ce n’est pas que notre vie soit une pièce de théâtre, c’est qu’elle comporte si peu de personnages.
 
44.Correspondance (IV)
Une semaine plus tard.
Dernière lettre à Alice :
« Mon amour,
Ce week-end avec Anne n’a rien donné. N’en parlons plus. Comme toi, je voulais être fixé, être certain d’avoir fait le bon choix. Pardon de t’avoir fait cela. Je voulais aussi que tu sentes à quel point j’ai souffert pendant tes vacances. C’est idiot, je le sais. Parce que tu ne sauras jamais à quel point tu m’as fait mal.
Alice, nous sommes faits l’un pour l’autre. C’est effrayant. Tout est beau avec toi, même moi. Mais j’ai peur de ta peur. Il est insupportable que je ne sois pas le seul homme de ta vie. Je hais ton passé, qui encombre mon avenir. J’aimerais que toute cette douleur serve à quelque chose. Pourquoi ne me fais-tu pas confiance ? Parce que je suis fou ? Ça ne compte pas comme reproche car tu es folle aussi. Tu crois qu’on s’aime uniquement parce que c’est compliqué ? En ce cas il vaut mieux se quitter. Je préfère être malheureux sans toi qu’avec toi.
Notre amour est ineffaçable, il est incompréhensible que tu ne t’en rendes pas compte. Je suis ton futur. Je suis là, j’existe, tu ne peux pas continuer à vivre comme si je n’existais pas. Désolé. Comme disent les Inconnus : "C’est ton Destin".
Nous n’avons pas le droit de fuir le bonheur. La plupart des gens n’ont pas notre chance. Quand ils se plaisent, ils ne tombent pas amoureux. Ou quand ils sont amoureux, ça ne marche pas au lit. Ou quand ça marche au lit, ils n’ont rien à se dire après. Nous, on a passé toutes ces épreuves avec les félicitations du jury, sauf qu’on est recalés puisqu’on n’est pas ensemble.
Ce que nous faisons est impardonnable. Cessons de nous torturer. Il est criminel de ne pas se dépêcher d’être heureux quand on en a enfin l’occasion. Nous sommes des monstres envers nous-mêmes. Allons-nous continuer longtemps comme ça ? Pour faire plaisir à qui ? C’est ignoble de faire autant de peine à soi-même et aux autres, pour rien. Personne ne nous reprochera d’avoir saisi notre chance.
Ceci sera vraiment ma dernière lettre. Je n’en peux plus de jouer au chat et à la souris. Je suis abattu, fourbu, à tes pieds, attendant le coup de grâce. À partir d’un certain niveau de douleur, on perd tout orgueil. Je ne t’écris pas pour te demander de venir ; je t’écris pour te prévenir que je serai toujours là. Un geste de toi et nous fondons un élevage d’autruches. Pas de geste de toi et je suis toujours là, quelque part, sur la même planète que toi, à t’attendre. Je t’aime à la folie, je n’ai envie que de toi, je ne pense qu’à toi, je t’appartiens corps et âme.

Randevoo - Episode 32

Thursday Nov 24, 2022

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ترجمه شفاهی : مصطفی شالچی
 
41.Conjectures
Alors il s’est passé une chose terrible : j’ai commencé à garder mes chaussettes pour dormir. Il fallait réagir, sans quoi bientôt je me mettrais à boire ma propre urine. Je me retournais dans mon lit en songeant à ce que m’avait dit Jean-Georges. Et s’il avait raison ? Il fallait rappeler Anne. Après tout, puisque Alice ne voulait pas venir, j’avais peut-être eu tort de divorcer. Tout n’était pas perdu : beaucoup de gens retombent amoureux de leur époux le lendemain du divorce. Tiens : Adeline et Johnny. Non, mauvais exemple. Euh, Liz Taylor et Richard Burton. Pas tellement mieux.
Je pourrais récupérer Anne. Il fallait récupérer Anne. Tout était rattrapable. Nous n’avions pas tout essayé. Nous allions tout essayer. À force de ne pas se parler pour se ménager l’un l’autre, nous nous étions quittés sans rien nous dire. Nous serions ensemble, à nouveau, et ririons bientôt en évoquant notre séparation. Nous en avions vu d’autres.
Non, à la réflexion, nous n’en avions pas vu d’autres. Autrefois les mariages résistaient à ce genre de passades. Aujourd’hui les mariages sont des passades. La société dans laquelle nous sommes nés repose sur l’égoïsme. Les sociologues nomment cela l’individualisme alors qu’il y a un mot plus simple : nous vivons dans la société de la solitude. Il n’y a plus de familles, plus de villages, plus de Dieu. Nos aînés nous ont délivrés de toutes ces oppressions et à la place ils ont allumé la télévision. Nous sommes abandonnés à nous-mêmes, incapables de nous intéresser à quoi que ce soit d’autre que notre nombril.
J’ai tout de même échafaudé un plan. J’espérais ne pas être obligé d’en arriver à cette extrémité mais le départ d’Alice en vacances avec son mari mérite une riposte nucléaire. Cette fois on jette la dignité à la rivière. Mon plan, c’est de rappeler Anne. Je décroche le téléphone avec un sourire que je voudrais machiavélique et qui n’est qu’intimidé.
 
42. L’émouvant stratagème
— Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus ? ai-je demandé à Anne en tirant sur la table du restaurant pour qu’elle puisse s’asseoir sur la banquette.
Avant, nous aimions dîner côte à côte dans cette brasserie, mais avant c’était avant, et ce soir nous dînons face à face. Elle m’observe avec curiosité avant de répondre :
— Quatre mois, une semaine, trois jours, huit heures et (elle dit cela en vérifiant sur sa montre) seize minutes.
— Et quarante-trois secondes, quarante-quatre, quarante-cinq…
Nous commençons par occuper la conversation avec toutes les choses qui permettent d’éviter l’essentiel : nos métiers, nos amis, nos souvenirs. Comme si tout ce qui s’est passé n’avait pas eu lieu. Mais Anne voit bien que je suis malheureux, et ça la rend malheureuse de ne pas en être la cause. Au dessert, énervée, elle m’agresse un peu.
— Bon, tu ne m’as pas invitée à dîner pour qu’on se raconte des histoires de vieux amis. Qu’est-ce que tu veux me dire ?
— Eh bien… Il y a des affaires à toi à la maison, je me demandais si tu voulais venir les récupérer. Et en même temps, on aurait pu en profiter pour passer le week-end ensemble et voir si…
— Hein ? T’es tombé sur la tête ou quoi ? On est divorcés mon vieux ! Je vois très bien que ce n’est pas moi dont tu es amoureux, et puis merde, je ne suis pas un jouet que tu peux trimballer !
— Chut ! Pas si fort…
Je m’adresse à nos voisins de table :
— Nous sommes divorcés, je viens de lui proposer de partir en week-end et elle a refusé. Voilà, ça va, vous savez tout. Vous pouvez arrêter d’écouter maintenant ? Ou alors votre vie avec cette radasse en face de vous est tellement merdique que vous avez besoin d’écouter celle des autres ?
Le voisin se lève, moi aussi, nos femmes nous séparent, bref, il y a de l’action dans ce bouquin. Puis je paie l’addition et nous sortons du restaurant. Dehors, il fait encore plus nuit qu’avant. Dans la rue, nous faisons quelques pas en rigolant. Je lui demande pardon. Elle me dit que ça va. Elle semble accepter cette rupture mieux que moi.
— Marc, il est trop tard. Nous avons atteint un point de non-retour. J’aime quelqu’un, et toi aussi : nous n’avons plus rien à faire ensemble.
— Je sais, je sais, je suis ridicule… Je me disais qu’on aurait pu réessayer… Tu es sûre que tu ne veux pas que je te raccompagne ?
— Je sais, je sais, je suis ridicule… Je me disais qu’on aurait pu réessayer… Tu es sûre que tu ne veux pas que je te raccompagne ?
— Non, merci, je vais prendre ce taxi… Marc, je vais te donner un tuyau pour tes rapports avec tes prochaines femmes. Il faut que tu apprennes à te mettre à leur place.
Et puis soudain, au moment de se séparer, l’émotion monte. Nous retenons nos larmes, mais elles coulent à l’intérieur de nos visages. Son rire d’enfant, je ne l’entendrai plus. Mon successeur en profitera à ma place, s’il la fait rire. Anne est devenue une étrangère. Nous nous quittons pour poursuivre notre chemin, chacun de son côté. Elle monte dans le taxi, je referme doucement la portière, elle me sourit à travers la vitre, et la voiture s’éloigne… Dans un beau film, je me mettrais à courir après le taxi sous la pluie, et nous tomberions dans les bras l’un de l’autre au prochain feu rouge. Ou bien ce serait elle qui changerait d’avis, soudain, et supplierait le chauffeur de s’arrêter, comme Audrey Hepburn/Holly Golightly à la fin de Breakfast at Tiffany’s. Mais nous ne sommes pas dans un film. Nous sommes dans la vie où les taxis roulent.
On quitte d’abord la maison de ses parents, et ensuite, parfois, on quitte la maison de son premier mariage, et c’est toujours la même peine qu’on ressent, celle de se sentir, une fois pour toutes, orphelin.
 

Randevoo - Episode 31

Thursday Nov 17, 2022

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Johnny Hallyday - Seul
40.Conversation dans un palace
Jean-Georges ne m’a jamais vu comme ça. Il tente désespérément d’égayer la conversation, comme on tend la main à un naufragé. Nous sommes au bar d’un grand hôtel mais je ne sais même plus lequel car nous les avons tous écumés. Je lui demande :
— Dis, tu crois que l’amour dure trois ans ?
Il me regarde avec pitié.
— Trois ans ? Mais c’est énorme ! Quelle horreur ! Trois jours, c’est amplement suffisant ! Qui t’a mis cette ânerie dans la tête, petit moussaillon ?
— Il paraît que c’est hormonal, enfin, biochimique, quoi… Au bout de trois ans c’est fini, on n’y peut rien. Tu trouves pas ça triste ?
— Non mon toutou. L’amour dure le temps qu’il doit durer, ça m’est égal. Mais si tu veux qu’il dure, je crois qu’il faut apprendre à s’ennuyer bien. Il faut trouver la personne avec qui l’on a envie de s’emmerder. Puisque la passion éternelle n’existe pas, recherchons au moins un ennui agréable.
— Oui, tu as peut-être raison… Tu crois que ça me passera un jour de courir après des apparitions ?
— Oui mon poulet. Tu prends le problème à l’envers. Plus on cherche à être passionné et plus on est déçu quand ça s’arrête. Ce qu’il faut, c’est chercher l’ennui, comme ça tu seras toujours surpris de ne pas te faire chier. La passion ne peut pas être « institutionnelle », c’est l’ennui qui doit être la normale – et la passion une cerise sur le gâteau. Tu sais, la peur de l’ennui…
— … C’est déjà la haine de soi… Je sais, tu me l’as dit et répété… Pff… Quand je vois tous ces couples d’amis qui se détestent, s’ennuient, se trompent, tirent la gueule et restent ensemble juste pour faire durer leur mariage, je ne regrette pas de divorcer… Au moins, moi, je garderai une belle image de mon histoire.
— Ma petite gouape, je te parle pas d’Anne mais d’Alice. Tu fantasmes sur elle alors que tu ne la connais même pas. Voilà, c’est ça ta maladie : tu aimes quelqu’un que tu ne connais pas. Est-ce que tu crois que tu la supporterais si tu devais vivre avec elle ? Pas sûr : ce qui vous excite, c’est de ne pas pouvoir être ensemble. Moi, si j’étais toi, je rappellerais Anne.
— Jean-Georges ?
— Quoi, mon zouzou ?
— Dis pas de conneries. On se reprend deux verres ?
— OK si c’est toi qui raques.
— Jean-Georges, je peux te poser une question ?
— Dis toujours.
— Tu as déjà souffert par amour ?
— Non, tu le sais bien. Je ne suis jamais tombé amoureux. C’est mon grand malheur.
— Parfois je t’envie. Moi, je ne suis jamais resté amoureux, c’est pire.
Son silence m’a fait regretter de lui avoir posé cette question. Un nuage voile ses yeux détournés. Sa voix se fait plus grave :
— Arrête de renverser les rôles, petite frappe. C’est moi qui t’envie, tu le sais très bien. Moi je souffre depuis ma naissance. Tu découvres en ce moment une douleur que j’aimerais bien connaître. Changeons de sujet, si tu veux bien. Et voilà, mon malheur est contagieux. Maintenant on est deux à avoir le blues, nous voilà bien avancés.
— Tu crois que je suis un salaud ?
— Mais non, mais non. Tu fais ton apprentissage, tu n’es qu’un petit amateur, mon chou à la crème. Tu as encore quelques progrès à faire. Par contre…
— Par contre quoi ?
— Par contre, t’es vraiment un gros pédé de la fesse et je vais tout de suite t’attraper par le petit orifice.
Là-dessus ce sagouin m’empoigne et nous roulons par terre en renversant la table, les verres et les fauteuils dans un grand éclat de rire, pendant que le barman cherche frénétiquement dans l’annuaire le téléphone des urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne.

Randevoo - Epiosde 30

Friday May 27, 2022

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39. La descente continue
Autant vous prévenir tout de suite : il n’est pas sûr que cette histoire aura une « happy end ». Ces dernières semaines comptent parmi les plus tristes et magnifiques souvenirs de ma vie, et rien ne m’autorise à penser que cette situation ne va pas se prolonger. J’ai beau tenter de forcer le destin, celui-ci n’est pas en pâte à modeler.La fin du monde a eu lieu la semaine dernière. Alice m’a téléphoné pour me dire qu’elle partait en vacances avec Antoine pour essayer de recoller les morceaux. Cette fois, c’est bien fini. Nous avons raccroché sans même nous dire adieu. Mon amour est Hiroshima. Voyez les dégâts que peut causer la passion ; on en vient presque à citer Marguerite Duras.Je regarde une mouche qui se cogne contre la fenêtre de ma chambre et je songe qu’elle est comme moi : il y a du verre entre elle et la réalité. Séparée du bonheur par une prison invisible.La double vie est le luxe des schizophrènes. Alice a le beurre et l’argent du beurre : la passion interdite avec moi, et son petit confort avec son mari. Pourquoi n’avoir qu’une seule vie quand on peut en avoir plusieurs ? Elle change de mec comme on change de chaîne sur le câble (j’espère au moins que je suis « Eurosport »).C’est fini. C.E.S.T. F.I.N.I. Il est incroyable que je puisse écrire ces huit lettres aussi facilement, alors que je suis incapable de les accepter. Parfois il m’arrive d’avoir des crises de mégalomanie : si elle ne veut pas de moi, m’autopersuadé-je, alors je ne l’aime plus ! Elle n’est pas à ma Hauteur ? Tant pis pour cette conne ! Mais ces sursauts d’orgueil ne durent pas longtemps car je n’ai pas un instinct de survie assez développé. Je vous prie de m’excuser, les écrivains sont des gens plaintifs, j’espère ne pas trop vous ennuyer avec ma douleur. Écrire, c’est porter plainte. Il n’y a pas une grande différence entre un roman et une réclamation aux PTT. Si je pouvais faire autrement, je ne resterais pas enfermé chez moi à taper à la machine. Mais je n’ai pas le choix ; je ne parviendrai jamais à parler d’autre chose.Regardez-moi ce que je suis devenu… J’écris le même livre que les autres… Chasses-croisés amoureux… On quitte une femme pour une autre qui ne vient pas… Que m’arrive-t-il ? Où sont mes soirées décadentes ? Je m’enferre dans les problèmes sentimentaux germanopratins… On dirait du jeune cinéma français… L’amour est le problème des gens qui n’ont pas de problèmes… Mais c’est la première fois que je ressens un pareil besoin physique d’écrire…
incapable de les accepter. Parfois il m’arrive d’avoir des crises de mégalomanie : si elle ne veut pas de moi, m’autopersuadé-je, alors je ne l’aime plus ! Elle n’est pas à ma Hauteur ? Tant pis pour cette conne ! Mais ces sursauts d’orgueil ne durent pas longtemps car je n’ai pas un instinct de survie assez développé. Je vous prie de m’excuser, les écrivains sont des gens plaintifs, j’espère ne pas trop vous ennuyer avec ma douleur. Écrire, c’est porter plainte. Il n’y a pas une grande différence entre un roman et une réclamation aux PTT. Si je pouvais faire autrement, je ne resterais pas enfermé chez moi à taper à la machine. Mais je n’ai pas le choix ; je ne parviendrai jamais à parler d’autre chose.Regardez-moi ce que je suis devenu… J’écris le même livre que les autres… Chasses-croisés amoureux… On quitte une femme pour une autre qui ne vient pas… Que m’arrive-t-il ? Où sont mes soirées décadentes ? Je m’enferre dans les problèmes sentimentaux germanopratins… On dirait du jeune cinéma français… L’amour est le problème des gens qui n’ont pas de problèmes… Mais c’est la première fois que je ressens un pareil besoin physique d’écrire…Autrefois quand on me parlait de « nécessité », je faisais semblant de comprendre mais je ne savais rien du tout…Même cet autodénigrement est une énième protection… (Merci Drieu, merci Nourissier…) Je n’ai rien d’autre à raconter… Fallait que ça sorte un jour… Tant que l’on n’a pas écrit le roman de son divorce on n’a rien écrit… Peut-être n’est-il pas inepte de prendre son cas pour une généralité… Si je suis banal, alors je suis universel… Il faut fuir l’originalité, s’atteler aux sujets éternels… Marre du second degré… Je fais l’apprentissage de la sincérité… Je sens qu’au fond de cette détresse il y a comme une rivière qui coule, et que si je parvenais à faire jaillir cette source, je pourrais rendre service aux « joyeux quelques-uns » qui auraient déjà fréquenté le même genre d’abîme. J’aimerais les prévenir, tout leur expliquer, pour que ce genre de déconvenue ne leur arrive pas. C’est une mission que je m’accorde, et elle m’aide à y voir plus clair. Mais il n’est pas impossible que la rivière demeure à jamais souterraine…

Randevoo - Epiosde 29

Friday May 13, 2022

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38.Correspondance (III)
Quatrième lettre à Alice : « Chère autruche,Je pense à toi tout le temps. Je pense à toi le matin, en marchant dans le froid. Je fais exprès de marcher lentement pour pouvoir penser à toi plus longtemps. Je pense à toi le soir, quand tu me manques au milieu des fêtes, où je me saoule pour penser à autre chose qu’à toi, avec l’effet contraire. Je pense à toi quand je te vois et aussi quand je ne te vois pas. J’aimerais tant faire autre chose que penser à toi mais je n’y arrive pas. Si tu connais un truc pour t’oublier, fais-le-moi savoir.Je viens de passer le pire week-end de ma vie. Jamais personne ne m’a manqué comme ça. Sans toi ma vie est une salle d’attente. Qu’y a-t-il de plus affreux qu’une salle d’attente d’hôpital, avec son éclairage au néon et le linoléum par terre ? Est-ce humain de me faire ça ? En plus, dans ma salle d’attente, je suis seul, il n’y a pas d’autres blessés graves avec du sang qui coule pour me rassurer, ni de magazines sur une table basse pour me distraire, ni de distributeur de tickets numérotés pour espérer que mon attente prendra fin. J’ai très mal au ventre, et personne ne me soigne. Être amoureux, c’est cela : un mal de ventre dont le seul remède, c’est toi.Alice. J’ignorais que ce prénom prendrait une telle place dans ma vie. J’avais entendu parler du malheur et je ne savais pas qu’il se prénommait Alice. Alice, je t’aime. Deux mots inséparables. Tu ne t’appelles pas Alice, mais "Alice-je-t’aime".Ton Marc très cafardeux. » Comme prévu, Alice me rappela le lundi suivant. Elle m’avoua qu’elle était folle de moi, et me promit qu’on ne se quitterait plus jamais. Je la dévêtis doucement dans un appartement prêté par une amie. C’est peu dire que nos retrouvailles furent agréables. Cet après-midi de plaisir pourrait servir de mètre-étalon à Sèvres au rayon « jouissance sexuelle de très haut niveau entre deux êtres humains de sexes complémentaires ». Ensuite, contrairement à sa promesse, elle me quitta vers neuf heures du soir, épuisée, et je me retrouvai de nouveau seul pour aller à la rencontre des heures.

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